Titre singulier n’est-ce pas ? Et à voir ainsi cet arrangement de lettres insignifiant et banal jamais on ne se serait douté qu’il pût renfermer une pensée sérieuse.

Agonies. – Eh bien c’est quelque roman bien hideux et bien noir, je présume – Vous vous trompez, c’est plus, c’est tout un immense résumé d’une vie morale bien hideuse et bien noire.

C’est quelque chose de vague, d’irrésolu, qui tient du cauchemar, du rire de dédain, des pleurs et d’une longue rêverie de poète. Poète, puis-je donner ce nom à celui qui blasphème froidement avec un sarcasme cruel et ironique et qui parlant de l’âme se met à rire ? Non, c’est moins que de la poésie, c’est de la prose – moins que de la prose – des cris – mais il y en a de faux, d’aigus, de perçants, de sourds, toujours de vrais, rarement d’heureux. C’est une oeuvre bizarre et indéfinissable comme ces masques grotesques qui vous font peur.

Il y aura bientôt un an que l’auteur en a écrit la première page et depuis – ce pénible travail fut bien des fois rejeté, bien des fois repris. Il a écrit ces feuilles dans ses jours de doute, dans ses moments d’ennui – quelquefois dans des nuits fiévreuses, d’autres fois au milieu d’un bal – sous les lauriers d’un jardin – ou sur les rochers de la mer.

Chaque fois qu’une mort s’opérait dans son âme – chaque fois qu’il tombait de quelque chose de haut – chaque fois qu’une illusion se défaisait et s’abattait comme un château de cartes, chaque fois enfin que quelque chose de pénible et d’agité se passait sous sa vie extérieure, calme et tranquille – alors dis-je, il jetait quelques cris et versait quelques larmes. Il a écrit sans prétention de style, sans désirs de gloire comme on pleure sans apprêt, comme on souffre sans art.

Jamais il n’a fait ceci avec l’intention de le publier plus tard. Il a mis trop de vérité et trop de bonne foi dans sa croyance à rien pour la dire aux hommes.

Il l’a fait pour le montrer à un, à deux tout au plus qui lui serreront la main après l’avoir entendu et qui ne lui diront pas : c’est bien – mais qui diront : c’est vrai.

Enfin si par hasard quelque main malheureuse venait à découvrir ces lignes, qu’elle se garde d’y toucher. – Car elles brûlent et dessèchent la main qui les touche, – usent les yeux qui les lisent, assassinent l’âme qui les comprend.

– Non, si quelqu’un vient à découvrir ceci, qu’il se garde de le lire – ou bien si son malheur l’y pousse, qu’il ne dise pas après : c’est l’oeuvre d’un insensé, d’un fou. Mais qu’il dise : il a souffert quoique son front fût calme, quoique le sourire fût sur ses lèvres et le bonheur dans ses yeux. Qu’il lui sache gré si c’est un de ses proches de lui avoir caché tout cela – de ne point s’être tué de désespoir avant d’écrire et enfin d’avoir réuni dans quelques pages tout un abîme immense de scepticisme et de désespoir.

Textes de jeunesse II
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